TEXTES
J'écrirai que je t'aime
Tant que mes doigts usés pourront tenir ma plume,
tant que mes yeux minés seront assez vaillants,
que mes nuits éveillées sauront saisir l'écume
de mon esprit vieilli, qui n'est plus si fringant,
j'écrirai que je t'aime.
Tant que les mots voudront demeurer sans malice,
tant que mes pages nues seront mes auxiliaires
que mes phrases sauront élever l'édifice
des vers qui se bousculent, simplement pour te plaire,
j'écrirai que je t'aime.
Tant que les jours nouveaux me donneront la force,
tant que mon cœur battra et pourra s'exprimer
en pourchassant les termes pour saisir, sous l'écorce,
l'ardeur renouvelée des formules usitées,
j'écrirai que je t'aime.
Tant que tu seras là pour lire mes poèmes,
tant que tu me diras que tu en es émue,
que tu voudras, parfois, corriger un blasphème
qui m'aura échappé et que je n'avais vu,
j'écrirai que je t'aime.
Tant que mes doigts usés pourront tenir ma plume,
tant que je te saurai près de moi et complice,
que tu continueras de chasser loin mes brumes
comme tu fais toujours, ma douce Béatrice,
j'écrirai que je t'aime.
Extrait recueil "Vous dire, en passant..."
L'Ephémère
Elle est d'un autre monde, celui des Éphémères.
Un rien la flétrit, un rien l'épanouit.
Elle vit en un lieu où le temps s'énumère
au rythme, un par un, des pétales accomplis.
Fragile, sensuelle, à nulle autre identique,
elle aime la nuit en douceur de l'été,
pareille à une fleur au parfum magnétique
qui repose en un lit de mousse et de rosée.
Ne pas la déranger, surtout faire silence,
ne pas effrayer la calme endormie
elle s'éveillera d'un baiser délivrance
qui portera l'amour à son âme alanguie.
Elle est d'un autre monde, celui des Éphémères,
un rien la flétrit, un rien l'épanouit.
Gardez-vous de froisser sa couche hospitalière
sans y être invité ; c'est elle qui choisit !
Ses heures sont comptées sans aucune indulgence,
demain qui viendra la verra s'en aller ;
alors, intensément, avant cette échéance,
se donner à celui qui saura sublimer.
Ne pas la bousculer, la savoir cœur fragile,
ne pas la presser vers le non-retour.
Abreuver tous ses sens de tendresse tactile
tout en lui chuchotant le plus beau des discours.
Elle est d'un autre monde, celui des Éphémères,
un rien la flétrit, un rien l'épanouit.
Son nom est un secret, il restera mystère
pour qui n'aura pas su accéder à son nid.
Extrait recueil "Vous dire, en passant..."
Les diamants de l'aurore
Les diamants de l'aurore, parsemés aux corolles,
étoiles oubliées, richesses de la nuit,
pigmentent les velours, matinales lucioles,
éphémères apparats des reines, puis nous fuient.
Profiter de l'instant, du moment magnifique,
avant que perles douces ne ruissèlent en gouttes
pour lire en leur profond le reflet- seul, unique-
des rêves et images venus des nues dissoutes.
Là, parvenir aux secrets, aux mystères sublimes,
accéder aux messages que seuls cœurs inspirés
abordent, délicats, pour en cueillir les rimes
et les semer au vent des âmes libérées.
Toi que les mots inspirent place-les en écrin,
ils sont l'émanation, parfois, d'obscurs présages ;
qui les croit laconiques, qui les croit anodins,
qui croit les maîtriser ne se montre pas sage.
Tout au fond des diamants, richesses bienvenues,
quand on sait bien les lire, quand on sait profiter,
quand l'ego est capable d'un peu de retenue,
il pourra découvrir le mot le plus sacré : Humilité.
Extrait recueil "Septembre"
Avant Toi
(à Béatrice)
Comme une île perdue, loin des havres tranquilles,
balayée par les vents, érodée par les flux,
là où nulle autre vie que quelques brins fragiles
n'aurait pu aborder sans s'avérer vaincue,
j'étais sans toi.
Comme une ombre exilée, exclue de la lumière,
errant au plus profond des abysses chthoniens,
là où nul autre cri que des clameurs primaires
n'aurait pu s'élever sans s'allier aux chiens,
j'étais sans toi.
Comme un esprit damné, fui par les âmes pures,
voué au pilori sans autre voie d'appel,
là où le seul moyen d'effacer les souillures
n'aurait pu consister qu'en un arrêt cruel,
j'étais sans toi.
Comme une main tendue qui se perd dans le vide,
sans rencontrer l'écho d'un salvateur contact,
là où sables mouvants et autre sol putride
n'auraient pu faire grâce dans ce bas cul-de-sac,
j'étais sans toi.
Extrait recueil "Vous dire, en passant..."
L'absente
Je t'écrirai demain, de retour à Rivelle,
faire plus que ces lignes aujourd'hui je ne peux,
ce malheur annoncé par ta lettre est affreux
la douleur est trop forte et vraiment trop cruelle.
Je ne sais, sur l'instant, les mots pour parler d'elle,
sa présence est si vive encore, je suis brisé,
déjà dire au passé, ce soir, je ne pourrais
c'est au plus grand silence que ma plume en appelle.
J'imagine aisément l'insigne désarroi
dans lequel ce chagrin te plonge et te dévaste,
tu me dis t'en vouloir de cette issue néfaste
le tourment, mon ami, t'égare je le crois.
Accorde-moi la grâce de pouvoir partager
ce poids, cette affliction, ce mal que tu endures,
permets-le, compagnon, cela je te l'adjure,
sois fort, nous sommes deux, tu n'es pas naufragé.
Plus longuement, demain, de retour à Rivelle,
je coucherai les termes qui, pour l'heure, se dérobent,
je serai à ma table dans le matin, dès l'aube,
et le premier soleil lira mes traits pour elle.
Je t'y rappellerai que vous eûtes tous deux
un bonheur rencontré par un heureux hasard,
ce que vous ressentîtes lors du premier regard,
je te ferai revivre ces moments merveilleux.
Je pourrai employer le passé pour te dire
la passion qui fût sienne- elle me l'avoua !-
de trouver près de toi l'alfa et l'oméga
dans l'homme que tu es, son rêve, son désir.
J'ajouterai aussi, sans crainte de méprise,
que tu es désormais en charge d'un devoir :
ne pas lui dire adieu, simplement au revoir,
et vouer ton futur au souvenir d’Élise.
Je t'écrirai demain, de retour à Rivelle.
Extrait recueil "Vous dire, en passant..."
Moi, l'Inconnu de Verdun
Je dors sous la grande arche au centre de l'Etoile.
Pourquoi moi ? Je ne sais, le hasard l'a voulu.
Je suis un parmi d'autres, mes frères les poilus,
chacun d'entre eux pourrait, au-dessous du grand voile,
reposer à jamais.
Hier encore, à Verdun, sous la voûte sacrée,
nous étions huit, gisant, martyres anonymes ;
nos cercueils alignés, transférés des abîmes
de lieux anéantis, de régions décimées,
aspiraient à la Paix.
Ceint de nos trois couleurs qui étaient nos lumières
je fus ainsi choisi par un jeune soldat
qui, posant ses œillets sur mon habit de bois,
me décerna l'honneur, pour tous et j'en suis fier,
de les représenter.
Mon nom ?
Opter serait injuste, j'en porte des milliers,
héros donnés au feu, fauchés dans leur jeunesse
bien avant d'espérer qu'un avenir leur naisse,
il n'auront eu le temps que d'être suppliciés
détruits, déchiquetés.
Sur la dalle glorieuse qui couvre mon suaire
une flamme éternelle, chaque jour ravivée,
invite par son feu, à jamais consacré,
à la méditation sur ce que sont les guerres.
Passant recueille-toi sur ce lieu de mémoire !
je n’y dors pas tout seul dans un sommeil profond,
il abrite avec moi une génération
qui s’est vêtue, pour toi, de souffrance et de gloire.
Extrait recueil "1914-2014 Centenaire de la Grande Guerre: Hommage"
Il pleut
Le ciel est méchant ce matin !
ne t'en va pas si tôt, le froid est vite pris,
sinon, d'un chaud manteau, recouvre tes épaules
tu es fragile encore, méfie-toi du vent d'est.
Les lourds nuages noirs froncent leurs gros sourcils,
ce n'est pas aujourd'hui que le soleil, fâché,
viendra, comme tu aimes, adoucir tes instants ;
reviendra-t-il demain ? Je sais que tu l'attends.
As-tu chaussé tes pieds de souliers qui protègent ?
Les sentiers sont peu sûrs par ce temps incertain,
ils auraient vite fait de te glacer le sang
ne t'éloigne pas trop, tu sais que je t'attends.
Je vais dresser dans l'âtre, pour un feu qui rassure,
quelques bouts d'un vieux bois bien leste à crépiter,
et la douce chaleur du foyer, renaissante,
viendra, jusqu'aux chevrons, préparer ton retour.
Extrait recueil "Septembre"
Tendresse
Dans ta douce prairie me perdre, mon exquise,
de tes butes et vallées maîtriser le dessin
du plus bas de ton être jusqu'au pic de tes seins
emprunter les chemins, voies de ma convoitise.
Je deviens conquérant de places admirables
ton alanguissement me contraint au sublime
ô ne pas bouleverser, ce ne serait que crime,
gagner sereinement les lieux de l'ineffable.
Sur notre lit profond comme insondable abîme
dans l'abysse appelé par nos sens éveillés,
lorsque nos désirs fous en loi sont érigés
nulle âme que la nôtre ne sait ce qu'ils expriment.
Sur ta couche complice par son satin de ciel,
dont l’infini moelleux engendre le magique,
je te suis jusqu'au seuil du monde séraphique
auxiliaire muet, témoin confidentiel.
De tes désirs, tes soifs, confie-moi le secret
j'obéirai, soumis, guide mes mains, mes doigts,
que je sois créateur d'ivresse oui, pour toi,
te mener, mon aimée, plus loin que l'éthéré.
Là, sur notre chevet, une lueur voilée
engendre tout autour de tes sommets et plaines
des ombres veloutées rendant de porcelaine
la pâleur admirable de tes îles émergées.
Partageons à jamais ces instants de bonheur,
que nos jours et nos nuits soient une mélodie
chant ininterrompu louant les interdits
à la gloire d’Éros le maître de nos cœurs.
Extrait recueil "Vous dire, en passant..."
Là où je dormirai
Là où je dormirai, sous la ramée du saule,
quiconque passera, par hasard, tout devant,
ne saura deviner que la chanson du vent
vient bercer mon sommeil ; musique sans paroles.
Toi seule, mon aimée, de cette mélodie
entendras le refrain, déchiffreras les notes
qui te rappelleront notre vie de jadis
dans ce bonheur si grand dont nous fûmes les hôtes.
Si tu viens déposer sur mon repos paisible
quelques fleurs de printemps que tu auras cueillies,
fais le tranquillement, sans larmes si possible
je t'ai toujours voulue heureuse, alors souris.
Extrait recueil "Vous dire, en passant..."
Provence
En Provence, vois-tu, ce n'est pas comme ailleurs.
Qui n'a pas vu ma terre ne sait pas ce que c'est que toucher au sublime,
boutant tout autre lieu au détail de l'infime.
Est-il, existe-t-il, en quelque endroit du monde
modèle d'expressions plus complexes à narrer ?
Du plus sombre au plus clair, lorsque l'œil vagabonde,
mille effets d'arcs-en-ciel ne sauraient mieux griser.
Ne cherche pas l'endroit où fut le lieu d’Éden
sans aucun doute, aucun, tu en foules le sol
renifle son espace, capture ses pollens,
tu sentiras ton corps frémir d'un amour fol.
En Provence, vois-tu, ce n'est pas comme ailleurs.
Qui n'a pas vu ses nues ne sait pas ce que c'est qu'atteindre la lumière,
boutant au rang du noir toute flamme étrangère.
Au détour d'un relief se dressent, en îles fières,
des villages accrochés en ciel immaculé,
sentinelles d'antan, en veille séculaire,
aux ruelles conçues pour l'ombre recherchée.
De collines pelées en pinèdes ombragées,
de Mistral qui rend fou en soleil ravageur,
tout ici est passion, jusqu'au verbe imagé ;
exagérer un peu… ne fait pas un menteur.
En Provence, vois-tu, ce n'est pas comme ailleurs.
Où pourrait-on trouver en un unique écrin autant de fulgurance :
la Méditerranée, le Rhône, la Durance ?
Non, vois-tu, nulle part ne bat un même cœur.
Extrait recueil "Vous dire, en passant..."